Réussir son premier roman – IV : L’imagination

JE N’AI PAS D’IMAGINATION !

Je dis souvent que l’imagination est le talent inné le plus universellement et le plus équitablement partagé. Tout le monde en a ! Parfois, certains lecteurs me disent, d’un air désolé : « Oh, vous savez, moi, je n’ai aucune imagination ! »… C’est une parfaite aberration ! Nous avons tous de l’imagination ! L’imagination est partout, nos rêves en débordent, notre vie en déborde ! La difficulté consiste à savoir la reconnaître, l’apprécier, l’ordonner et la transformer.
Ainsi, par exemple, tout le monde rêve, mais tout le monde ne sait pas forcément comment transformer un rêve en roman… Il convient donc de distinguer l’imagination de la créativité. Cette dernière, essentielle à l’auteur, n’est pas forcément innée, mais elle peut se travailler. Elle permet de piocher dans la richesse un peu folle de l’imagination pour en extraire quelque chose de nouveau, de novateur, de potentiellement étonnant.

TRAVAILLER SA CRÉATIVITÉ

La première règle consiste à ne pas se brider, à se laisser aller. Une idée vous semble folle ? Ce n’est pas grave, allez jusqu’au bout, vous ferez le tri plus tard et, en chemin, vous allez peut-être trouver quelque chose d’extraordinaire !
Un petit exercice pour travailler votre créativité : regardez le début d’un film ou d’un épisode de série, puis faites une pause au milieu, et imaginez toutes les fins possibles. Essayez de les classer par ordre de préférence. Au bout d’un moment, vous finirez peut-être par vous surprendre en découvrant régulièrement à l’avance la fin du film : l’histoire que vous allez voir, vous auriez presque pu l’écrire vous même !
Travailler sa créativité, c’est se livrer, en quelque sorte, à la technique du brainstorming en solitaire : pour récolter un maximum d’idées originales, il faut écarter dans un premier temps l’autocensure, se laisser aller, puis rebondir d’idée en idée tout en prenant des notes. Certains trouveront que la marche, même circulaire, favorise le processus créatif. Il n’est pas rare de me voir tourner en rond un peu sottement chez moi, un stylo à la main et l’air complètement hagard… Aristote et ses disciples n’étaient-ils pas appelés les « péripatéticiens » parce que marcher en rond autour du lycée d’Athènes les aidait à réfléchir ?
Pendant cet exercice, en supposant que vous partiez, par exemple, d’un personnage, imaginez tout ce qui peut lui arriver, quelles pourraient être ses réactions, leurs conséquences, multipliez les possibilités… Au final, la meilleure solution s’imposera à vous.
Travailler sa créativité, c’est accepter de dialoguer avec soi-même, s’imaginer qu’on est deux, jouer au jeu des questions-réponses dans sa propre tête ! N’ayez pas peur de passer pour un schizophrène, personne ne vous regarde ! Retrouvez cette mécanique que nous avions tous, enfant, quand nous devions jouer tout seul dans notre chambre et que nous nous inventions des dialogues entre des personnages imaginaires !

Réussir son premier roman – III : Où trouve-t-on ses idées ?

OÙ TROUVEZ-VOUS VOS IDÉES ?

On trouve ses idées de roman dans le plus grand magasin qui soit : la vie.
On les trouve dans les événements que l’on vit, les choses que l’on lit, que l’on voit, les personnes que l’on rencontre, les bonheurs et les malheurs que l’on traverse… On les trouve dans ce que l’on connaît. « L’essentiel, pour tout écrivain, est d’écrire sur ce qu’il connaît », affirme Stephen King.
Des idées de romans, nous en rencontrons tous des centaines, tous les jours. La difficulté consiste à les reconnaître et à les saisir. D’où l’importance du carnet. Avoir le réflexe de noter ses idées, cela s’apprend, cela se travaille et, à terme, cela paye ! Un romancier, c’est avant tout quelqu’un qui sait regarder, qui sait écouter, et qui analyse tout ce dont il est le témoin.
L’idée de départ d’un roman peut être un simple personnage (fictif ou réel), un fait divers, une information, un élément de l’Histoire, une anecdote familière, un concept (et si ?)…

UNE SEULE IDÉE ??

Toutefois, personnellement, je ne crois pas qu’il suffise d’une seule idée pour concevoir un roman tout entier. Je crois que c’est de la confrontation de plusieurs de ces éléments que naît l’idée d’un roman. Si l’on part d’un seul et unique fait divers, par exemple, pourquoi écrire un roman plutôt qu’un document ? C’est bien parce que l’on veut ajouter quelque chose à ce fait divers que l’on penche pour la forme romanesque : une interprétation, une grille de lecture, un personnage…
Pour ma part (et je rappelle que mon cas ne fait pas école…), il y a souvent un peu de tout cela et, pour tout dire, ce n’est jamais vraiment de l’un de ces seuls éléments que naissent mes livres. Au tout début, il y a d’abord la volonté de traiter d’une question générale, oserais-je dire philosophique ? Dans La Moïra, je voulais traiter de la problématique du vivre ensemble ; c’est pour servir ce propos que j’ai choisi de raconter une histoire d’hommes et de loups. Dans Le Testament des siècles, je voulais traiter de la question de la solitude de l’homme au sens large (y compris dans son questionnement quant à l’existence ou non d’un principe divin…). Dans Les Cathédrales du vide, je voulais traiter de l’inanité – émouvante – de notre effort à vouloir donner un sens à nos vies, et le roman commence d’ailleurs par une citation de Cioran : « Tout le secret de la vie se réduit à ceci : elle n’a aucun sens, chacun de nous, pourtant, lui en trouve ». Dans L’Apothicaire, je voulais traiter de la quête de l’Autre, et dans Nous rêvions juste de Liberté, je voulais poser la question de la possibilité d’être libre parmi le nombre. Dans J’irai tuer pour vous, je me posais la question des limites de la Raison d’état, et celle de l’éthique complexe d’un assassin de la République… Une fois cette question générale trouvée (question que je veux donc poser à moi-même et au lecteur), je cherche une histoire qui va pouvoir illustrer au mieux cette problématique. Une sorte de parabole, en somme…
Il m’arrive alors, presque toujours, de trouver non pas un mais deux ou trois sujets qui peuvent facilement être liés (des faits historiques, des découvertes scientifiques, des faits divers, etc…) et qui, ensemble, vont pouvoir illustrer l’idée générale du roman. Et c’est seulement quand j’ai tous ces éléments que je peux commencer à construire mon synopsis (sujet sur lequel nous reviendrons plus tard).
« Le mot ne manque jamais quand on possède l’idée », disait Gustave Flaubert. Êtes-vous capable de résumer l’idée de votre roman en une ou deux phrases, de le « pitcher », comme on dit dans le milieu du cinéma ? Si ce n’est pas le cas, il y a de fortes chances que vous n’ayez pas vous-même une idée assez précise de ce que vous voulez faire…

PATIENCE ET LONGUEUR DE TEMPS

L’idée d’un roman, toutefois, ne vient que très rarement d’un seul coup. Elle est, la plupart du temps, la somme de plusieurs pensées, qui vous sont venues à divers moments de votre vie, de plusieurs envies qui, soudain, s’assemblent et donnent naissance à cette drôle d’entité.
Pour ma part, mes « idées » de romans me viennent en un temps assez long. Le chemin qui m’amène à l’idée finale dure entre un et deux ans. Presque toujours, l’idée de mon prochain roman s’échafaude, au plus tard, lors de la rédaction du précédent. Parfois bien avant. Il peut se passer dix ans avant qu’une « vieille » idée de roman ne se concrétise enfin…
Beaucoup d’écrivains connaissent cette impression étrange de l’idée subite, comme miraculeuse, qui survient parfois après une longue période de sécheresse. Un matin, on se réveille, et on a l’impression que le roman est là, devant nous, entier, évident, et que tout ce qui nous empêchait de dégager labonne idée s’est prodigieusement résolu dans la nuit. Ce n’est évidemment qu’une impression. En réalité, la chose relève de la neuroscience : notre cerveau, pendant ladite période de stérilité, travaille « en tâche de fond ». Les idées se regroupent dans notre subconscient, sur une longue période, et soudain, on les reconnaît.

BRAINSTORMING !

Une fois l’idée originale trouvée, elle se travaille. Il y a bien des manières de faire mûrir une « idée de départ », mais toutes reposent sur le principe suivant : la contradiction est le moteur de la réflexion. En somme, il faut attaquer son idée comme on prend d’assaut une forteresse, chercher ses faiblesses, la pénétrer, puis la fortifier, l’approfondir, la fouiller, la pousser aussi loin que possible, quitte à revenir en arrière. Souvent, pour ce faire, il est utile de soumettre cette idée à quelqu’un d’autre. À un ami, un conjoint, un autre écrivain, ou, quand on a la chance d’en avoir déjà un, à son éditeur. Les remarques ou objections qu’untel pourra formuler vous obligeront à consolider cette idée de départ jusqu’à ce que vous ayez le sentiment qu’elle est devenue mature.
Pour ma part, j’ai remarqué que je ne travaillais jamais aussi bien sur mes idées de romans que quand j’étais au volant. Pour des raisons de sécurité routière, j’hésite à donner ce conseil, mais il n’empêche que, en conduisant, mon esprit atteint cet état particulier de vagabondage, finalement assez proche de l’hypnose, qui permet de se concentrer paisiblement sur son idée, de chercher librement l’inspiration, de tester telle ou telle solution, etc…
Au final, vous ne vous lancerez dans l’écriture que quand vous serez pleinement satisfait de votre idée de départ. Croyez-vous en votre idée ? En sa puissance ? Êtes-vous prêt à la défendre ? Car la route va être longue : autant choisir savamment votre compagnon ! Si, avant même de commencer, vous ne croyez pas totalement en votre livre, c’est que vous n’êtes pas encore prêt à l’écrire. Attention ! Il ne s’agit pas de se laisser décourager par le regard d’autrui. Il s’agit d’être sûr de vous, de ce que vous avez à dire, quoi que les autres puissent en penser.

Réussir son premier roman – II : Pourquoi écrire ?

POURQUOI ÉCRIRE ?

Cette question, je crois, l’écrivain se la pose, ou devrait se la poser toute sa vie. Très probablement, il n’y répondra jamais complètement. Il y a quelque chose qui relève de la vocation dans le choix de ce métier qui, comme je l’ai dit en introduction, s’il peut apporter bien des joies, n’est pas forcément de tout repos…
Se demander pourquoi on écrit est un bon moyen de donner plus de profondeur à son travail, car cela permet de se fixer des objectifs, si possible ambitieux, et de travailler à leur réalisation. Est-ce que j’écris pour faire rire les gens ? Les divertir ? Les émouvoir ? Les faire réfléchir ? Est-ce que j’écris pour moi ? Pour changer le monde ? Et si c’est le cas, comment faire pour approcher le mieux possible ce dessein ?
Pour écrire, il faut d’abord en avoir envie. La chose peut paraître évidente, mais elle ne l’est pas tant. Certains veulent écrire simplement parce qu’ils en aiment l’idée. L’idée de devenir « écrivain ». Mais cela ne suffit évidemment pas ! Pour que ce projet ait un sens, et pour se donner les chances d’aller jusqu’au bout, il faut savoir ce que l’on a vraiment envie de faire avec son livre, et être prêt à s’y livrer entièrement. Sans envie d’écrire, il n’y aura probablement pas d’envie de lire chez vos lecteurs.

TROUVER SA VOIE ET SA VOIX…

Se lancer dans l’écriture, c’est l’occasion de faire le point sur votre désir profond, intime, sur la flamme qui vous anime. Votre vie quotidienne, vos responsabilités, vos devoirs vous éloignent souvent de l’essentiel. Beaucoup d’écrivains affirment d’ailleurs qu’écrire est un acte qui peut épargner à l’auteur quelques années de psychanalyse, car il vous permet d’entreprendre une démarche assez similaire : explorer votre psychisme, explorer votre inconscient, reprendre contact, au fond, avec ce qui fait la singularité de votre être, et l’extérioriser avec des mots.
Écrire, c’est affirmer que quelque chose de lumineux peut émaner de la solitude. Celle de l’auteur, qu’il délivre par les mots, et celle dans laquelle le lecteur se réfugie avec plaisir pour les recevoir.
J’ai tendance à penser que le secret d’un livre réussi, c’est avant tout son authenticité. En littérature, le crime ne paie pas. Si vous « faites semblant », il y a peu de chances que votre livre touche les gens. Cherchez votre voie, et trouvez votre voix.

ÉCRIRE POUR LES AUTRES…

De même, quoi qu’en disent certains, on n’écrit jamais seulement pour soi. L’acte d’écrire est, par définition, une volonté d’offrir à l’autre (et d’abord au papier) des mots qui, ensemble, font une histoire, laquelle transmet une idée, une interprétation du monde. Il n’y a pas d’écriture pour soi en ce sens que, même quand on écrit un journal intime, c’est dans l’espoir (conscient ou non) que celui-ci soit lu, un jour, par quelqu’un d’autre, quand bien même cet autre serait soi-même, quelques années plus tard, retombant sur ces pages oubliées, témoins de ce que nous étions jadis. Les mots écrits ne prennent vie que quand ils sont lus, et ne pas l’oublier oblige l’écrivain à penser avant tout au lecteur.
Ainsi, il est essentiel d’avoir à l’esprit sinon le plaisir du lecteur, au moins son intérêt. Il n’y a de plus terrible punition pour un auteur que de ne pas être lu jusqu’au bout. « Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs », disait Jean de La Bruyère.
En revanche, on peut (on doit, même) écrire en se faisant plaisir à soi. Les plus belles pages d’un roman sont souvent celles que l’on a pris le plus de plaisir à rédiger. Le plaisir d’écrire, c’est celui de se dépasser, de réussir à trouver les mots qui, de la façon la plus juste possible, sauront exprimer ce que votre esprit ou votre cœur vous disent. Ce plaisir est d’ailleurs sublimé quand, parfois, par miracle, quelques lignes vont plus loin encore que vous ne l’aviez espéré, et il n’est de plus grande joie que celle de se laisser dépasser par son œuvre. Comme l’a écrit Milan Kundera, « Les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs »…

… MAIS PRENDRE DU PLAISIR

L’idéal est donc de trouver le juste milieu entre le plaisir de l’émetteur et celui du récepteur. La question que l’on doit se poser est : cette histoire véhicule-t-elle quelque chose qui peut intéresser quelqu’un et, si c’est le cas, comment faire pour qu’elle y parvienne le mieux possible ? La première règle consiste donc à choyer son lecteur : Aristote disait que la première qualité du style est la clarté. Mais, en se vouant à son lecteur, l’auteur ne doit pas, pour autant, sacrifier son propre plaisir, car cela se sentirait. Un écrivain qui s’ennuie est un écrivain qui ennuie et, en outre, quand on s’ennuie soi-même, on a bien de la peine à finir son roman…
C’est ici toute la difficulté de l’écriture : l’auteur doit être un bon « faiseur », un bon artisan, mais il ne doit pas être que cela. Il doit aussi être une âme. Le danger est de pécher dans l’un ou l’autre sens : n’être qu’un faiseur sans âme, ou n’être qu’une âme sans manière. C’est d’ailleurs le cas de bien des romans. Trop nombreux sont les auteurs qui négligent le fond et ne se soucient que de la forme, et réciproquement, trop nombreux sont ceux qui se gargarisent de leur pensée sans se soucier du plaisir que pourraient avoir les lecteurs à la lire. On peut avoir une méthode parfaite, appliquer les plus belles recettes du monde, si l’on a rien à dire, on ne fera pas un beau roman. De même, on peut avoir la plus belle chose du monde à dire, si on le fait sans y mettre la forme, on a toutes les chances de perdre son lecteur. Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, disait Boileau, et les mots pour le dire arrivent aisément.