ChatGPT sur vos tombes…

C’est la dernière mascotte du net, qui déclenche les passions et fait couler de l’encre (ou plutôt uploader de l’octet…). La question de l’utilité réelle de ChatGPT, de son efficacité, de ses forces et de ses faiblesses, de ses failles, est posée à longueur d’articles. Diantre, un grand quotidien national vient même de m’interroger sur ce que j’en pensais, en tant qu’écrivain, et de me demander si je le considérais comme une menace pour ma profession. Malheureusement, cette question n’a, à mes yeux, qu’un intérêt mineur. Selon moi, la question que l’on devrait se poser serait plutôt : à qui profite le buzz ?

I love science…

Avant de vous donner mon avis personnel sur ce nouveau chouchou des médias et de certains internautes, je me dois de lever tout soupçon sur mon éventuelle hostilité de principe à l’innovation technologique. De grâce,  qu’on ne me traite guère d’Amish (comme dirait l’autre…) ou de technophobe : je suis convaincu que l’intelligence artificielle est un outil formidable qui, correctement utilisé, permettra (et permet déjà) de véritables progrès dans de nombreux domaines de la recherche, notamment médicale, et je suis convaincu que beaucoup de belles choses sortiront d’une utilisation pertinente de l’IA. Voilà. C’est dit : I love science. Toute modestie mise à part, je pense même avoir été l’un des premiers auteurs français à lancer un forum pour les lecteurs de La Moïra, il y a vingt-deux ans, soit trois ans avant l’apparition de Facebook, embrassant avec enthousiasme et passion les possibilités que nous offraient le développement de l’informatique et de la mise en réseau de nos ordinateurs plus si individuels que ça…

Science sans conscience…

Malheureusement, comme toute grande innovation technologique, le véritable enjeu consiste à savoir entre quelles mains elle atterrit, et quelle  utilisation en est faite. La découverte de la fusion nucléaire en 1934 fut incontestablement une avancée scientifique extraordinaire ; mais offrir à n’importe qui la possibilité d’assembler deux noyaux atomiques dans sa chambre ne me semble toutefois pas une idée entièrement raisonnable… Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, disait Rabelais. Or, depuis quelques années, dans leur course effrénée à l’innovation, certains confondent trop aisément progrès technologique et progrès social. Par exemple, détruire des emplois ne m’apparaît pas être un immense progrès social….
Et c’est bien là que ChatGPT (et autres Midjourney) pose problème : ce sont des progrès technologiques finalement mineurs (leur prouesse est plus commerciale que technologique), et des promesses de régression sociale majeurs. Le calcul risque-bénéfice est rapide à faire. Et s’il y a encore des gens sur cette planète pour s’imaginer une seule seconde que la motivation première d’Elon Musk, Amazon et Microsoft est le progrès social, notre civilisation est mal barrée…1

Brainstorm de première classe…

Déjà, soyons sérieux (enfin, façon de parler…) : une entreprise qui, après une probable séance de brainstorming de gens très très intelligents et très bien payés, se dit que « GPT » ferait un bon suffixe commercial pour son nouveau produit, sans effectuer une petite vérification multilingue de ses éventuelles consonances homonymiques grotesques, ne me semble pas digne de confiance, au niveau de sa clairvoyance… Les gars, rien que le nom de votre truc, il est ridicule !

Le Pot aux roses

Contrairement à ce que certains semblent penser, ChatGPT n’a pas inventé l’intelligence artificielle, qui est utilisée depuis fort longtemps par de nombreux chercheurs (dont ma propre sœur, au CNRS, par exemple… oui, je vous parle souvent de ma sœur, c’est le cerveau de la famille…), et qui a de beaux jours devant elle (l’IA, pas ma sœur. Enfin, si ma sœur aussi, mais ce n’est pas le sujet). Il en va de même pour le concept de chatbot, dont le principe était déjà abordé en 1950 dans les travaux  d’Alan Turning, et la première application mise en service en 1966 sous le nom d’ELIZA2 .
ChatGPT – qui, à en croire les captures d’écran hilarantes que je vois défiler sur Mastodon, est encore plein de défauts (parfois dangereux…) – n’est rien d’autre qu’une magnifique arnaque commerciale de plus, faisant croire au citoyen lambda qu’on lui met gratuitement un outil révolutionnaire entre les mains, alors qu’il ne s’agit en réalité que d’un nouvel outil de siphonnage des données (où il faut donner son numéro de téléphone, son mail, et valider sans vraiment les lire des conditions générales ubuesques), pratique fort juteuse initiée par Google au début des années 2000, et formidablement décrite par Shoshana Zuboff dans son ouvrage Le Capitalisme de surveillance
 3. Une bible que tout le monde devrait lire avant d’utiliser n’importe quel service en ligne présenté comme “gratuit”… On y voit comment ce siphonnage quotidien, sous couvert de “gratuité”, permet de nourrir des bases de données faramineuses à partir de notre intimité, afin de pouvoir vendre de la publicité ciblée (bien plus lucrative que la publicité traditionnelle). Le tout avec une absence totale d’éthique et un contrôle gouvernemental bien trop laxiste (un laxisme que nos dirigeants devront payer un jour ou l’autre, eux qui sont censés être garants de l’un de nos droits essentiels, celui à la vie privée). Pour ce qui est de l’éthique, la presse a révélé par exemple la rémunération des modérateurs de ChatGPT, employés au Kenya, et payés moins de 2 dollars de l’heure4… Encore une fois, quelqu’un peut-il vraiment croire qu’une entreprise capable de telles pratiques a pour souci le progrès de l’humanité ?
Docilement, en embrassant les services “gratuits” de Google, Facebook et autre Twitter, nous avons participé à la création de monstres qui se nourrissent grassement de notre bêtise (la publicité ciblée, et donc la revente de nos données, a par exemple généré près de trente milliards de dollars de bénéfices à Facebook l’an dernier). De la même manière, le seul “progrès” que ChatGPT (qui a les mêmes pratiques) apportera à notre civilisation, c’est de permettre à une entreprise détenue par des gens comme Microsoft, Amazon et Elon Musk d’engranger encore plus de bénéfices, en faisant de notre vie privée une monnaie d’échange, la plupart du temps sans notre consentement, ou en tout cas sans que nous ayons conscience de l’avoir donné, les “privacy policies” de ces outils étant des documents abscons, qui font plusieurs dizaines de pages, auxquelles l’utilisateur moyen ne comprend rien.

Il suffirait que les gens n’achètent pas…

Je dois bien l’admettre – ce qui ne m’empêche pas d’avoir une opinion – je n’ai pas testé et je ne testerai pas ChatGPT. D’abord, parce que, par principe idiot mais assumé, je boycotte les entreprises qui la détiennent, et surtout Elon Musk. Ce type est déjà en train de nous pourrir le ciel avec ses satellites Starlink5, je ne vais pas en plus le laisser me pourrir la vie avec ses autres joujoux, et le fait que Microsoft en ait pris la direction n’est guère pour me rassurer. Et ensuite parce qu’il m’a suffi de lire ses conditions d’utilisation pour constater qu’une fois de plus, il ne s’agissait pas d’une révolution technologique, mais bien d’un attrape-couillons très rentable.
Et j’invite mes confrères à en faire autant. Nous avons laissé Amazon bousiller nos libraires, nous avons laissé Google devenir un monstre qui piétine notre vie privée sans qu’on en ait véritablement conscience, nous avons laissé Microsoft et Apple vampiriser nos ordinateurs et nos téléphones en nous privant de leur contrôle, etc. J’espère qu’un sursaut de bon sens permettra aux utilisateurs, aux artistes, aux éditeurs et aux gouvernements de refuser de permettre à ChatGPT ou autre MidJourney d’enfoncer encore un peu plus le clou dans le cercueil que nous nous construisons nous-mêmes, chaque jour.
Le plus triste, dans cette histoire, c’est que, comme toujours, quand il s’agit d’un outil néfaste : il suffirait que les gens ne s’en servent pas pour qu’il disparaisse. Comme disait Coluche : quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas ! Il suffirait que les gens quittent Twitter pour que ce réseau social, qui est devenu un parasite dangereux et une bombe en puissance, disparaisse. Il suffirait que les gens installent Linux pour que Microsoft perde son monopole sur nos ordinateurs (profitant de cette position de force pour nous imposer sa loi), etc. Malheureusement, le fatalisme, la paresse intellectuelle ou tout simplement l’ignorance font que les gens continuent de se servir de ces instruments de destruction massive (je l’ai fait moi-même pendant des années et me garde donc bien de critiquer : je suis un pigeon comme les autres
), et d’enrichir leurs propriétaires, qui doivent bien se marrer dans leurs jets privés…

Ceci n’est pas Romain Gary

N’ayons crainte, chers confrères, l’écrivain n’est pas mort. De la même manière que le label « fait main » reste un gage de qualité depuis des décennies sur la plupart des objets de notre quotidien, « fait avec un cerveau humain » restera un gage de qualité créative sur les romans de demain. Pas plus que je n’ai cru les apôtres de l’apocalypse qui m’expliquaient il y a vingt ans que le livre numérique allait tuer l’édition, je ne pense pas que ce genre d’IA remplacera les écrivains. ChatGPT causera certes des dégâts collatéraux dans le monde de la création, comme MidJourney en cause déjà dans celui de l’illustration, mais c’est loin d’être la véritable menace que constitue ce nouvel outil. Cette menace concerne, comme dit plus haut, tout le monde, en piétinant nos libertés individuelles et en permettant à des méga-corporations de grossir chaque jour un peu plus, creusant encore davantage l’écart entre les riches et les pauvres, et bousillant un peu plus notre planète avec leurs data-centers énergivores…

David et Goliath

ChatGPT est très certainement un monstre en devenir, qui va rapidement rejoindre les GAFAMS, ces golems qui s’accaparent nos richesses et sont désormais capables de mettre les états à leur botte. Il n’y a qu’à voir avec quelle facilité ces entreprises pratiquent l’évasion fiscale pour comprendre que nos états se sont résignés à leur puissance… Mon seul espoir est que les gens, vous, moi, nous tous, finissions par comprendre le piège dans lequel nous nous sommes engouffrés aveuglément, et que nous cessions purement et simplement d’utiliser Twitter, Facebook, Google, MidJourney et… ChatGPT, pour reprendre le contrôle de notre vie numérique et des outils qui nous permettent d’y communiquer librement. En un mot, ayons le courage de redevenir des acteurs libres plutôt que des consommateurs soumis…

A blog is born…

À l’occasion de la sortie de mon nouveau roman Les Disparus de Blackmore, je me suis soudain souvenu qu’il fallait que je mette à jour mon site internet, afin d’y intégrer cette dernière parution… En ouvrant l’interface d’administration WordPress, je me suis mis à soupirer en me demandant si ce site « vitrine » servait vraiment encore à quelque chose, en dehors de donner la liste de mes romans et ma biographie, choses que l’on peut trouver facilement ailleurs, ne serait-ce que sur Wikipedia (bon, certes, j’ai encore les cheveux peroxydés sur la photo là-bas mais, pour le reste, c’est plutôt assez complet…). Moi-même, je ne viens ici qu’une ou deux fois par an, pour ajouter un nouveau roman et, quand j’y pense, annoncer les dates de mes séances de dédicaces. Ce constat un peu désolant, ajouté à mon récent départ des réseaux sociaux propriétaires pour une migration vers Mastodon, m’a alors poussé à réfléchir : soit je fermais ce site devenu quasi inutile, soit je lui offrais une nouvelle formule, ou plutôt une bonne vieille formule : « Tiens, et si j’en faisais un blog ? ».

OK, mais Pourquoi un blog ?

Si, en migrant sur Mastodon, j’ai retrouvé un véritable plaisir de partage, débarrassé de la publicité ciblée intempestive et d’un contenu orienté par un algorithme obscur, son fonctionnement, très inspiré du « micro-blogging » à la Twitter ne me satisfait pas entièrement. D’abord, il y a la limite de taille (500 caractères), qui oblige certes à être concis et à aller droit au but, mais qui empêche de développer ses idées et de prendre le temps de dire les choses clairement, même avec des subjonctifs de l’imparfait. Ensuite, il y a ce côté éphémère des « posts » qui peut s’avérer parfois frustrant. La difficulté qu’éprouvent vos visiteurs pour retrouver un vieux post où vous avez dit quelque chose de super intelligent minimise la durée de vie de vos écrits.
La nature du blog corrige ces deux défauts : non seulement vous avez toute la place que vous voulez pour dire clairement ce qui se conçoit bien, mais, en plus, vos écrits restent accessibles longtemps, sont archivés, et peuvent continuer d’être « partagés » des années après leur publication, s’ils le méritent (ne soyons pas trop présomptueux). C’est par exemple le cas de mes conseils d’écriture, que j’ai rédigés en 2019, et que je suis heureux de voir encore régulièrement partagés ici et là, justement parce qu’ils sont référencés sur mon site, et non pas tombés dans les oubliettes d’un réseau social, dont l’intérêt n’est pas de constituer un corpus collectif mais simplement du trafic et du siphonnage de données…
Ainsi, l’idée de revenir à un blog, à l’ancienne, de reprendre le temps, et de proposer à ceux qui le veulent de s’y abonner par le biais d’une newsletter, ou de venir y flâner de temps en temps m’a paru en adéquation avec la transition numérique que j’ai entreprise en quittant les réseaux sociaux propriétaires. Et j’ai le sentiment de ne pas être le seul dans ce cas : je crois que, dans les années à venir, les déçus du réseau social seront nombreux à retourner au blogging d’avant.
Ici, mes écrits ne seront pas placardés de force sur vos murs, vos données personnelles ne seront pas pillées et revendues à des tiers (je ne saurais même pas comment faire, haha) et nous ne ferons pas la course aux likes et aux partages. Vous lirez mes articles si vous en avez envie, vous en serez informés si vous êtes abonnés, et vous n’aurez pas besoin de cliquer sur un petit pouce bleu pour dire à tout le monde que vous avez trouvé ça super chouette : vous en penserez ce que vous voudrez, information qui, au fond, ne regarde que vous.

Small is beautiful

Je n’ai malheureusement pas les compétences informatiques suffisantes pour offrir à ce blog la forme dont je rêve (cela nécessiterait un sérieux nettoyage du code généré automatiquement par WordPress), à savoir un blog épuré, au code élégant, à la manière de l’un des maîtres en la matière, le captivant Ploum.net qui, bien plus calé que moi en informatique, est arrivé à la forme la plus soigneusement purifiée qui soit. Mais je vais m’efforcer de m’en approcher, à la hauteur de mes moyens (à savoir en utilisant WordPress avec le plus de sobriété possible).
En même temps que ma prise de conscience concernant la nocivité des GAFAM en général et des réseaux sociaux propriétaires en particulier, je suis en train de vivre, depuis quelques mois, une véritable prise de conscience écologique (et climatique). Or, la concomitance de ces deux révélations n’est pas fortuite. Il suffit d’écouter l’Octet Vert, formidable podcast de Tristan Nitot, pour constater à quel point écologie et numérique (ou plus largement high-tech) sont étroitement liés. Le numérique est à la fois l’un des artisans de la dégradation de notre planète et un outil qui, correctement utilisé, pourrait nous aider à la ralentir, voire à la stopper.
Ainsi, viser une forme de sobriété numérique fait partie de ces petits gestes (qui ne seront plus anecdotiques quand nous serons suffisamment nombreux à les faire) qui participent à la réduction du gaspillage énergétique et que j’ai décidé d’adopter (avec tout un tas d’autres petits gestes quotidiens qui ne regardent que moi…). Un site sobre, sans fioriture, qui s’affiche vite et qui ne nécessite pas un immense espace de stockage, est bien moins énergivore qu’un gros site bourré d’images, de vidéos et de gadgets inutiles comme celui que j’entretenais jadis. Un podcast audio, par exemple, est souvent aussi efficace qu’une chaîne Youtube, tout en étant bien moins gourmand et donc moins dépensier.
Ainsi, donc, fini le joli site avec tout plein de couleurs, de calques transparents en parallax, d’animations tape-à-l’œil, de photos dans tous les sens, de vidéos en veux-tu en voilà… Cette nouvelle version de mon site se veut aussi sobre que possible, vous offrant du texte en noir sur fond blanc et peu d’images, car, après tout, en terme d’échanges épistolaires, il est grand temps que nous revenions à l’essentiel : le texte !

Oui mais c’était quand même VAChEMENT plus pratique de vous suivre sur Facebook !

Plus pratique, peut-être. Plus enrichissant, non. Certes, pour me « suivre » sur les réseaux sociaux, il vous suffisait de cliquer sur le bouton homonyme et, de temps en temps, sur votre mur, vous tombiez sur l’une ou l’autre de mes publications, certaines d’un intérêt – il faut bien l’admettre – indéniablement limité. Un jour, pour faire un test, j’ai publié le post « Tiens, ce matin, à dix heures, j’ai eu besoin de remonter mes chaussettes » : une heure après, cette publication passionnante avait récolté plus de 1 200 likes. Bon. Certes, il y avait du second degré dans tout cela, mais enfin, tout de même, vous et moi avons mieux à faire de notre temps, n’est-ce pas ?
Ainsi, aujourd’hui, si vous voulez continuer à rester en contact avec moi, vous avez trois choix (cumulables) :
– Me suivre sur Mastodon,
– Vous abonner à la Newsletter de ce blog pour être alerté de temps en temps, avec parcimonie,
– Venir lire ce blog de vous-même, quand cela vous chante.
Certes, cela demande un tout petit peu plus d’engagement de votre part, mais, en contrepartie, je m’engage, moi, à y publier des textes plus intéressants (je n’ai pas remonté mes chaussettes ce matin), plus travaillés, plus réfléchis, et moins fréquents. J’y développerai notamment la série des Confidences livresques entamée sur Mastodon. Vous serez certainement moins nombreux à me suivre, mais je suis certain que les échanges qui en découleront seront bien plus enrichissants, et il est grand temps que nous reprenions le contrôle de nos échanges, que nous profitions de ce formidable outil qu’est internet dans un esprit plus fidèle aux rêves qu’avaient formulés ses créateurs.
En tout cas, on va essayer, pour voir…

Adieu Twitter, Facebook et cie

Vous vous en doutez, quand vous êtes une personne publique, qui vit exclusivement de sa plume, qui a besoin de communiquer sur son travail pour le faire connaître au plus grand nombre, et que vous avez près de 30 000 personnes qui vous suivent sur les réseaux sociaux propriétaires (Facebook, Twitter et Instagram dans mon cas), s’en aller n’est pas une décision que vous prenez à la légère… C’est un grand saut dans l’inconnu, un genre de pari un peu fou qui vous donne un vertige terrible. Mais c’est justement cette peur de partir qui m’a rendu physiquement malade. C’est justement en réalisant à quel point nous sommes soumis à l’emprise des réseaux sociaux privés que l’idée d’en être un esclave volontaire m’a placé dans une situation insoutenable de contradiction avec mes convictions propres.

Prise de conscience numérique.

Rester sur ces réseaux, en leur cédant aveuglément tout ce qu’ils me prennent, c’était fondamentalement contraire à ce que je suis, à ce que je ressens, et à ce que je crois.
Cela fait des années que je pense et que je dis à qui veut l’entendre que les réseaux sociaux sont à la fois des outils formidables, qui mènent à de fabuleuses rencontres ou découvertes, qui permettent de garder collectivement le contact avec des amis éloignés, mais aussi des outils pernicieux, avilissants, des chambres d’écho virales aux plus viles pensées, des porte-voix aux paroles intolérables, quand ils sont entre de mauvaises mains et mal contrôlés. Cela fait des années que je suis profondément inquiet devant leur fonctionnement intrusif, devant la commercialisation opaque de nos données les plus personnelles (ce que la sociologue Shoshana Zuboff appelle le marketing de surveillance), la malignité de leurs algorithmes qui nous abreuvent de contenu indésirable (et souvent nauséabond), leur modération hasardeuse… Et cela fait des années que je me résigne, malgré tout, à leur suprématie, par fatalisme, parce que « oui, mais c’est pratique, quand même… », et de peur de vous perdre, vous, mes lecteurs.

L’herbe est vraiment plus verte ailleurs !

Mais voilà, aujourd’hui, alors que des alternatives réelles existent, j’écoute un peu la voix de Bohem, héros de Nous rêvions juste de liberté, et, comme lui, je rêve de mettre les voiles. Je trouve, enfin, la force de partir. De partir pour l’ailleurs. Parce qu’il existe un ailleurs, vous savez ? Il existe un monde sans Facebook. Et bon sang, je suis allé voir… je vous promets ! Qu’est-ce qu’il fait bon y vivre !
L’arrivée d’Elon Musk sur Twitter ayant fait couler la dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase de ma soumission résignée, je me suis dit que j’allais « tenter l’aventure Mastodon » (ce réseau social libre, qui s’inscrit dans le « fediverse », en open-source, interconnecté avec tout un tas d’autres outils libres, et qui n’appartient à personne, sinon à toutes les bonnes âmes qui se fédèrent pour l’héberger), pour voir un peu ce que cela pouvait donner. Au début, je me suis dit que j’allais attendre quelques semaines avant de me faire une idée. Il m’aura fallu bien moins que cela. Après quelques jours à peine passés sur Mastodon, j’ai eu l’impression de vivre une épiphanie, une évidence et, au final, une libération. Je ne m’attendais pas à vivre l’expérience aussi intensément.  En quelques heures à peine, j’ai eu l’impression d’être Néo, dans Matrix, au moment où il avale la pilule rouge et qu’il se rend compte que, depuis des années, il vit dans une illusion machiavélique… There is no spoon ! Quitter les réseaux propriétaires pour rejoindre un réseau libre, c’est ouvrir sa conscience et reprendre le contrôle de sa vie numérique.

Le problème n’est pas l’outil.

Comme souvent, le problème n’est pas l’outil, mais celui qui le manie. Le problème n’est pas Twitter, c’est Twitter Inc. Le problème n’est pas Facebook, c’est META. Ce n’est pas ChatGPT, c’est OpenAI. Ce n’est pas Gmail, c’est Google Inc. Etc.
La technologie est une chose magnifique. Mais le capitalisme de surveillance cité plus haut est un enfer, qui n’a qu’une obsession : faire de toute nouvelle technologie une cash-machine plutôt qu’un outil de progrès social. Ce n’est pas les réseaux sociaux ou les IA qu’il faut bannir, c’est le système qui permet à ces méga-corporations de les dévoyer pour engranger des fortunes colossales sans se soucier de leur impact négatif, tant social que moral et écologique.

Voilà, c’est fini…

Ainsi, je suis parti. J’ai décidé de fermer tous mes comptes Twitter, Instagram et Facebook pour migrer totalement sur Mastodon, où ceux qui le veulent peuvent me suivre (vous pouvez suivre cet excellent tutoriel si vous avez du mal…). Et je reprends ici la forme traditionnelle du blog, dont je suis persuadé qu’elle va retrouver son heure de gloire, grâce à la liberté rédactionnelle qu’elle permet et à l’absence de traçage nauséabond voué à la publicité ciblée. Pour ceux que Mastodon ou le blog n’intéressent pas, vous pouvez simplement vous abonner à ma newsletter, pour recevoir mes infos essentielles.
J’espère que je ne serai pas le seul, que, peu à peu, nous serons nombreux à nous désintoxiquer, à prouver que c’est possible, à sortir de cette emprise incroyable que les réseaux privés ont sur nous, sur les gens qui, comme moi, ont le sentiment de devoir exister sur ces plateformes commerciales pour « toucher leur public ». Le vrai défi, pour nous, chers amis journalistes, éditeurs, artistes, écrivains, lecteurs, c’est d’amener justement le public à se libérer lui aussi de cette emprise.
Je ne sais pas quel poids mon choix aura dans cet éveil des consciences auquel j’aspire. Un coup de pied dans l’eau, peut-être. Je vais peut-être me fourvoyer, et finir un peu seul, dans cet autre monde. Mais au moins, je l’aurai fait. Et, à vrai dire, de très nombreux auteurs m’ont déjà suivi dans cette migration, et le hashtag que nous y avons créé ensemble #mastolivre connaît un succès grandissant et permet aux blogueurs, lecteurs, auteurs, libraires et éditeurs de se lire mutuellement.

À tous ceux qui ont eu la gentillesse de me suivre depuis tant d’années sur les réseaux d’antan, je veux témoigner ici mon immense gratitude, et j’espère que vous saurez me pardonner, me comprendre. J’ai vécu de belles heures parmi vous, et je vous en suis infiniment reconnaissant. À ceux qui auront l’envie (oserais-je dire le courage) de tenter aussi l’aventure de la désintox, je veux exprimer ma reconnaissance, et leur dire que nous vivrons sans doute là-bas de bien plus belles heures, débarrassés de la course au « like », de la prolifération des fake-news (la modération à taille humaine des petits serveurs et la possibilité de bloquer les instances irrespectueuses de la charte du fediverse nous en protègera davantage), de l’affichage de contenu indésirable obéissant à un algorithme tordu, et de ces grosses corporations lucratives qui n’ont d’autre dessein que de transformer notre vie privée en marchandise pour de la publicité ciblée. Mastodon est un logiciel en redistribution libre. Il ne pourra jamais être à vendre. Et si par quelque coup tordu (fort peu probable, vu la nature du logiciel) il tombait entre de nouvelles mains, nous partirons ailleurs…

Bonne route à vous tous ! Si, d’aventure, vous voulez me rejoindre, loin de tout ce bazar, suivez un ou deux tutoriels en ligne, créez-vous un compte Mastodon, sur n’importe quelle instance (toutes sont connectées), et venez me retrouver à l’adresse : @loevenbruck@toot.portes-imaginaire.org

Liberté !